The farthest city

Chaque genre musical semble être rattaché à un espace spécifique, comme s’il n’aurait pu voir le jour nul part ailleurs. Si on admet généralement que le blues n’existe légitimement et de manière réductrice que dans un champ de coton, QU’EN EST-IL DU SHOEGAZE? Loin de le considérer comme un sous-genre quelconque, le sentiment d’oppression qu’il dégage semble inévitablement lié à la ville. La grande, celle des gratte-ciels et des véritables dédales d’égouts. Oui, il apparaît bien que le shoegaze n’aurait jamais pu exister au milieu d’un champ de bouzes de vaches et de pâquerettes.

Aussi bien que l’époque, le lieu d’un mouvement musical semble primordial. Le temps et l’espace. Chaque musique, différant d’une autre par sa manière d’être ou de faire bénéficie d’un carcan géographique spécifique. Sauf que dans le cas présent, on associe le plus généralement le shoegaze à des villes comme New-York, verticales de l’extérieur et dans une ultime image fantasmée, ville marquée par tous les excès de la civilisation. Dans un sursaut moderne récent, parce que ce serait soit-disant une « musique de geek » et qu’on évoluerait en plein dans cette ère là, le shoegaze revient à la mode. Pervertir des petites oreilles en les maltraitant avec des guitares ultra-saturées, et les convaincre du bien fondé de cette musique en plaçant une mélodie qui vous fait oublier vos acouphènes futurs. Le shoegaze comme musique de masochiste en devenir. Ce retour en grâce marque une recrudescence des groupes, si ce n’est de l’intérêt porté à ceux-ci, de ce genre, à New-York notamment, et inévitablement à Brooklyn, quartier du 24-groupes-de-ouf-au-mètre-carré. Tant et si bien qu’on a tendance à oublier que le shoegaze ça vient quand même de l’Angleterre, tué dans l’oeuf par l’arrivée de la Britpop et du grunge, en gros.

Récupéré par les Américains, les Anglais à continuer de perpétrer ce genre musical dont ils sont à l’origine ne sont plus guère nombreux. Comme si les villes industrielles anglaises – ou Écossaises remarque – n’inspiraient plus tellement ce sentiment de vitesse et d’oppression. Les sons métalliques matraqués par les Jesus & Mary Chain -exemple choisit complètement au hasard- se jouant alors comme reflet de Glasgow dans l’eau salie de celle-ci par son passé industriel. Et si des groupes comme Ride, en provenance d’Oxford, ou Moose –de Londres- semblent échapper à cette tendance industrielle, tous ces groupes émanent de villes à forte population. Si bien que lorsqu’on écoute la moindre chanson rentrant dans les carcans du shoegaze, la première vision qu’on a c’est d’une ville qui se dépasse elle-même. Tout, trop vite, et la musique au milieu, qui l’exprime par le bruit, le métal qui rebondit sur les guitares, la fumée dans les voix laissées en arrière, comme embrumées. Darklands. Feuilletant un Voxpop -me semble-t-il- j’avais un jour lu que le shoegaze = musique de geek. Au delà du sentiment de vexation, j’ai jamais compris et je ne comprends toujours pas. On a quand même pas besoin de jouer à WoW pour aimer la mélancolie dégagée par ce genre de groupes.

Par contre, quand on observe les membres des groupes de ce revival shoegaze, il est net qu’ils ont été marqué par les nouvelles technologies. Généralement adeptes du « je fais mes pédales de disto tout seul », il est rare de ne pas tomber sur un qui n’aime pas tout ce qui concerne le bidouillage électronique. Comme si ça faisait partie du truc. Des groupes nourrissants cette envie de se placer en dignes héritiers de cette scène éphémère on en trouve plus que de raison à Brooklyn. Quand vient le moment de se représenter la musique par des images, notamment de ces groupes, on pense immédiatement à l’urgence et la vitesse, aux lampadaires qui marchent à moitié, éclairant une chaussée défoncée et des magasins fermés -car c’est la nuit. Franchement, tu verrais un mec ramener sa pédale de disto au milieu d’un champ de maïs, t’y croirais tout de suite moins. Autant que de les imaginer porter autre chose que du noir (ça fait partie du truc maintenant aussi apparemment), à l’image initiale des Jesus & Mary Chain. Difficile de faire mieux que ces aînés. Ce qu’on reproche d’ailleurs beaucoup, aux Crocodiles. Un peu trop d’ailleurs. C’est pas pour ça que c’est nul, au contraire. D’ailleurs je te mets même une vidéo qui appuiera tous les propos que j’ai pu tenir.

L’équation ville = violence + solitude + bruits métalliques de partout + oppression peut donc facilement être raccourcie à shoegaze nécessairement = ville.

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