Pour une raison injuste mais pourtant facilement explicable, le pigeon a mauvaise presse. L’oiseau de nos villes ou de nos villages pourtant ne nous lâche jamais, où qu’on aille.Une sorte de constante rassurante quand on explore des pays étranges. Tant que tu vois un pigeon, c’est signe de civilisation. Au même degré qu’un MacDo. En fonction de son comportement tu peux savoir si c’est un pigeon des villes ou un pigeon campagnard -NON je ne suis pas en train de présenter un repas gastronome à partir de ce tendre animal- ce qui est quand même bien utile alors que tu es lâché dans un endroit obscur du Pays de Galle à la recherche désespérée de quelque chose qui se mange mais qui ne soit pas des chips au vinaigre.
Mais le glouglou de nos pigeons n’est pas uniquement là pour nous rassurer, il sert parfois de motif artistique. Je me concentrerais uniquement sur la musique, je ne suis pas assez experte -non pas que je prétende l’être dans le domaine musical, juste d’être un peu moins quiche- pour savoir si Hitchcock avait une névrose du pigeon. Oui, parce que certaines personnes peuvent être fascinées par l’esthétique que cet oiseau peut dégager, alors qu’il est plus commun de l’associer à nos pare-brises tout sales. Ou responsable d’humiliation publique en cours de sport extérieur. Ce genre de chose charmante pourtant bien naturelle. Néanmoins allez dire aux Anglais de virer leurs bestioles de Trafalgar Square ou aux Vénitiens de la place Saint Marc. Voilà pourquoi on peut également affirmer que le pigeon fait partie de la culture populaire. Mais qu’en est-il du domaine artistique? Ces oiseaux bénéficient-ils d’une réhabilitation quelconque de la part de nos artistes préférés -salut les copains style là- ou sont-ils condamnés à continuer d’être associés aux trottoirs parisiens dégueulasses et de son métro à l’odeur si particulière?
Évidemment certaines personnes ont tourné le pigeon en dérision -au lieu de le (re)tourner dans la poêle, AH-, en témoigne l’existence d’un groupe hardcore breton qui a choisi le patronyme de l’animal comme nom de groupe. C’est mal de se moquer. Très mal. Mais alors c’est encore pire de se venger dessus. Le tir au pigeon est un sport trop répandu. Et même parfois, des gros punks rebelles de la belle époque (promenades en Doc Martens et chemise rouge pro-URSS) comme les Clash se prennent un procès aux fesses parce qu’ils ont jugé ça drôle de tirer sur des pigeons en haut d’une terrasse. Je vous rassure, ce n’est pas le fait de tirer sur des pigeons qui était mis en cause -un de plus ou un de moins c’est un peu comme les chocolats à Noël, ça change pas grand chose- mais parce que les pigeons appartenaient à quelqu’un. Tant qu’à avoir un chat dans son appartement, autant avoir des pigeons sur son toit. Je soupçonne qu’il ait été un nostalgique des pigeons voyageurs, entre l’e-mail et la Poste: comme l’e-mail, ça arrive rapidement, mais comme la Poste on sait jamais si le message ne va pas se perdre ou votre courrier se faire voler par une personne mal intentionnée. Le pigeon voyageur me permet d’introduire un zeste de romantisme dans le oueb. Mais là faut pas m’en vouloir, je ne regarde que des films romantiques d’époque en noir et blanc, je vois le bien partout. Même dans le pigeon.
Sérieusement -MAIS SI VOYONS- je vous ai quand même trouvé deux trois choses qui en valaient la peine. Il faut attendre le 4ème paragraphe mais on y arrive. Pour commencer, un groupe canadien dénommé Le Pigeon. Surtout parce que je trouve ça fun de signer ses mails par Le Pigeon quand même. Sens de l’humour plus que limité je ne vous le fais pas dire. Je ne sais approximativement rien d’eux, pas s’ils sont signés, pas s’ils ont jamais sorti quoi que ce soit. Je pense malgré tout que ça se limite à une chanson correctement enregistrée, le reste sont des démos. Ça donne le ton. Ils produisent une pop efficace aux doux accents folk -à moins que ça soit l’inverse- pas trop marqués mais néanmoins présents. Vous trouverez Freezing Rain sur Spotify au sein d’une compilation, aux côtés d’Evening Hymns et plein de choses toutes douces et merveilleuses dont je ne sais presque rien mais qui sont globalement assez chouettes.
Récemment également Here We Go Magic a sorti un album intitulé Pigeons, fantastique pièce musicale stupéfiante, le tout accompagné d’une pochette assez cool. À propos de ce titre Luke Temple déclare avec justesse: « Les pigeons sont autour de nous mais personne ne les remarque, sous-estimés, oiseau semblable à l’opprimé, ils n’en sont pas moins le reflet de ce que nous somme devenus ». Quelqu’un de très avisé, de sage. Je vous laisse peser la portée philosophique d’une citation sur les pigeons comme miroir de notre société individualiste et égoïste. Bon si vous lisez l’article entier où j’ai trouvé cette citation vous verrez qu’ils comparent le chant de Temple au « râle d’un pigeon agonisant ». Je ne m’aventurerais pas dans ces eaux troublées, la comparaison est osée, je n’ai jamais entendu un pigeon faire autre chose que « glouglou ». Alors le râle d’un pigeon agonisant pour qualifier une manière de chanter, c’est à la limite de l’insultant.
Ensuite vient Colouring Of Pigeons, chanson de 11 minute de The Knife -que tout le monde connaît donc je ne fais pas l’effort de présenter- pour leur projet d’opéra-électro, Tomorrow In A Year, sorti cette année. Un truc basé sur l’Origine des Espèces de Darwin. Bon par contre l’album tourne un peu à la farce comme le furent la plupart des opéras rock -gros lol à Tommy des Who, et un #epicfail au film qui l’accompagnait. En tout cas, ça a occupé l’internet et sa manie d’être sur tout, et tout de suite et a contribué à l’éternel débat « est-ce que parce que c’est inédit et innovant c’est nécessairement bien? ». Un peu la soupe qu’on nous ressert à chaque fois qu’on parle d’art contemporain. Non parce qu’hormis la chanson des pigeons pour rentrer dedans il faut faire preuve d’autant de délicatesse qu’une horde de CRS devant une porte qui refuse de s’ouvrir. À la limite Colouring Of Pigeons appelle même à brûler du pigeon et le faire bouillir dans une marmite si on se laisse entraîner par ses rythmes tribaux. Retour à l’État de nature. Le reste est un peu trop touffu et brumeux pour s’y aventurer les yeux fermés. Il s’agirait pas de perdre nos pigeons en chemin.
Enfin, un groupe presque tout neuf a mis le pigeon a l’honneur dernièrement. The Hundred In The Hands, qui surfe allègrement sur la vague électro-rock à donf dans l’air du temps -marque bien l’ironie de l’adjectif de djeune qui est totalement ringard désormais par rapport au qualificatif d’ « air du temps ». Voilà c’est très chouette à écouter notamment la « version minimaliste » -qualificatif utilisé pour dire qu’ils ont viré leur boîte à rythme- enregistrée par la Blogothèque de Pigeons. Le genre de truc à écouter de manière monomaniaque lors de vos pré-soirées (branchées). Histoire de vous mettre dans l’ambiance avec bon goût. Sauf que le pigeon sur leur pochette du single est sacrément moche et sacrément flippant, il faudrait leur dire qu’ils contribuent à véhiculer une image négative de cet animal. Ça n’empêche que cette chanson est assez terrible, les pigeons sont passés à 2 doigts de l’affront.
En définitive, le pigeon fait quand même preuve d’un traitement particulièrement développé par la musique. L’offre d’étude était tellement prolifique qu’il a été nécessaire de faire un choix plus que draconien, je n’ai jamais prétendu lister tous les groupes névrosés du pigeon. Ce petit animal qui peuple nos villes a donc une place assurée dans un domaine artistique, continuons donc à leur donner autant de pain qu’aux canards. Mais surtout arrêtez de les effrayer Jardin du Luxembourg ou je ne sais où, c’est cardiaque un pigeon.
PS: Je considère ça comme un accomplissement ultime d’avoir réussi à faire deux pages sur le pigeon en évitant soigneusement de parler du cas des Pigeon Detectives, cette grosse erreur de la nature de mes/nos années lycées obscures (enfants des 90s, sentez vous visés).
PS 2: Je remercie énormément Juliet qui a pu me fournir ces magnifiques photos de pigeons de Barcelone. Elle est merveilleuse.